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Conte contemporain

ou drame en suspens ?

Stéphanie Pioda

Journaliste, Critique d'Art
 

Les tableaux de Sandrine Rondard sont autant d’images mettant en scène des moments de tension qui tutoient

de façon délicieusement ambigüe le malaise et la féérie.
Un cadrage cinématographique généralement ancré dans un paysage campe ses « enfants sorciers »,
comme elle

les appelle : ils traversent des forêts ou des clairières, se cachent derrière un tronc, courent ou observent cette nature qui se déploie, rencontrent ça et là des arbres aux branches menaçantes...

C’est l’heure bleue, ce moment entre chien et loup où la lumière se fait troublante, parfois inquiétante et où tout
devient possible.

Elle pose les jalons d’une narration en points de suspension et laisse le spectateur s’approprier la suite de l’histoire.

À chacun de reprendre le déroulé du film, ellemême ne le connaît pas, elle n’a en tête que l’arrêt sur image.
Ce qui l’intéresse est de capter l’attention du regardeur, de l’attirer et de le faire basculer dans son monde cousu

de rêves. Chaque tableau est une fenêtre ouverte sur un conte contemporain qui n’a rien d’angélique : on est sur le fil,

à l’orée d’un drame latent où les héros sont ces jeunes chamanes maîtrisant les éléments naturels.
Magie noire ou magie blanche ? Le Grand Gaston auréolé de touches de lumières flotte sur une prairie-rivière, oeuvrant tel un chef d’orchestre à l’unisson de la nature, surpris par notre présence. La grande masse au vert transparent de

La notte reflète l’ombre de cet enfant à la silhouette esquissée, attiré par une guirlande lumineuse ou par une danse

de lucioles.
Rien n’est arrêté, tout est suggéré. Quelque soit l’interprétation, le sujet reste un prétexte à la peinture, une opportunité pour jouer avec la sensualité de la matière picturale qui prend toute sa dimension à travers la liberté et l’ampleur du geste de l’artiste. C’est pour cela qu’on oscille constamment entre abstraction et figuration dans ce travail à fleur de peau. « Dans mes tableaux, il y toujours une frontière entre deux aplats, un liseré entre deux mondes qui se juxtaposent. C’est un petit personnage qui fait le lien entredeux zones abstraites. »
Avec des ciels tourmentés redevables d’un Turner et des couleurs transparentes et subtiles, Sandrine Rondard
est obsédée par ces paysages qu’elle recompose : des bribes de son quotidien comme point de départ.

Ses roses sont peut-être les plus emblématiques, de véritables phares accrochés à la toile titillant l’oeil qui ne peut

que frétiller. Grande coloriste héritière d’un Bonnard ou d’un Gauguin, elle traque avant tout la lumière, aussi bien

dans ses photographies-esquisses que dans ses tableaux.
L’enjeu de la Peinture finalement. D’ailleurs, l’histoire de l’art est son alliée mais ne s’impose jamais comme une juxtaposition de citations. Sandrine Rondard l’a intégrée et dépassée pour imposer son propre style. Ce en quoi
elle crée une oeuvre singulière, une gageure à une époque où la tendance est rarement à la prise de risque.

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